Tiers-lieu, concept à (re)définir

Tiers-lieu, concept qui évolue

Tiers-lieu (third place en anglais), concept introduit par le sociologue américain Ray Oldenburg dans les années 1980, désigne initialement des endroits, autres que la maison et le lieu de travail où les gens se rencontrent et s’échangent d’une manière informelle (Oldenburg, 1999; Oldenburg & Brissett, 1982). Ce concept a évolué et d’autres types d’espace sont classés sous son nom, tels que les espaces de coworking, les fablab, les hackerspaces, et ont développé leur propre histoire (Liefooghe, 2018). Les activités pratiquées dans les tiers-lieux dépassent également d’une simple rencontre, les activités collaboratives, associatives et même commerciales s’installent également dans les divers tiers-lieux d’aujourd’hui.

En France, un mouvement des tiers-lieux se mettre à développer après l’apparition en 2018 du premier rapport « Faire ensemble pour vivre ensemble » sur la mission coworking (Levy-Waitz, 2018). Le deuxième rapport publié en 2021, trois ans après le premier, présente un état des lieux plus détaillé des tiers-lieux en France et apporte plus de réflexions à ce sujet.

D’après les données de France Tiers-lieux, le nombre de tiers-lieux est presque doublé en cinq ans, augmenté de 1800 en 2018 à 3500 en 2023. Cet intérêt porté aux tiers-lieux peut s’expliquer par les transformations sociales et sociétales de la France. D’abord, du côté sociogéographique, à cause d’une urbanisation et même une hyperurbanisation, un nouveau rapport au travail prend sa place dans les sociétés (Azam et al., 2015; Besson, 2013; Bohas et al., 2017; France Tiers-lieux, 2021; Levy-Waitz, 2018) et les tiers-lieux sont sollicités en tant qu’espace de travail et lieu de rencontre, surtout pour les travailleurs de nouveaux métiers comme freelancer et auto-entrepreneur. De plus, la volonté d’orienter la société française vers une « société apprenante » fait appel aussi aux tiers-lieux pour explorer, produire et transmettre de nouvelles connaissances et pratiques d’apprentissage et d’enseignement (Levy-Waitz, 2018; Taddei et al., 2017). Les tiers-lieux, surtout des fablab et des hackerspaces, portent souvent un statut d’innovant et participent à la production et la diffusion des innovations (Besson, 2013). En plus de ces changements, la révolution des technologies informatiques et numériques et l’exigence de la transition écologique jouent également un rôle important dans le développement des tiers-lieux ces dernières années (France Tiers-lieux, 2021; Levy-Waitz, 2018; Vallat, 2017).

Typologie des tiers-lieux

Selon les activités proposées, nous avons des tiers-lieux de coworking, de fablabs, d’ateliers artisanaux partagés, de laboratoires d’innovation sociale, de cuisines partagées, de terres agricoles et de tiers-lieux culturels (France Tiers-lieux, 2021). En fonction de la finalité du lieu, les tiers-lieux sont classés en tiers-lieux d’activités et de service, tiers-lieux artisanaux, tiers-lieux agricoles et tiers-lieux éducatifs (Coopérative Tiers-Lieux, 2020). Les travaux de Raphaël Besson (2015, 2017), qui reposent sur une manière de classification assez proche de ces deux dernières, distinguent cinq catégories de tiers-lieux : les tiers lieux d’activités, les tiers lieux d’innovation, les tiers lieux culturels, les tiers lieux sociaux, et les tiers lieux de service et d’innovation publique (Levy-Waitz, 2018).

Pour sortir de cette logique de catégorisation centrée la plupart du temps sur les activités pratiquées au sein des tiers-lieux, les chercheurs canadiens proposent une autre typologie en s’intéressant à la question « à qui bénéficie des tiers-lieux ?» (Wexler & Oberlander, 2017). Selon les bénéficiaires des tiers-lieux, Wexler et Oberlander (2017) avancent trois types de tiers-lieux : tiers-lieux communautaires, tiers-lieux commerciaux et tiers-lieux numériques. Cela permet de dépasser une classification en fonction des activités qui faire passer à côté l’hybridité des tiers-lieux, qui est pourtant une caractéristique importante (Besson, 2013; France Tiers-lieux, 2021; Wexler & Oberlander, 2017). Ces nombreuses classifications, hétérogènes et se recouvrant en partie, rendent difficile l’émergence d’une définition consensuelle et d’une typologie claire et partagée.

La catégorisation de Wexler et Oberlander, en fonction des bénéficiaires, offre le cadre le plus intéressant pour délimiter et identifier les tiers-lieux apprenants auxquels nous nous intéressons. Ces tiers-lieux apprenants correspondent à cette catégorie des tiers-lieux communautaires proposée par Wexler et Oberlander (2017) : les tiers-lieux du secteur public qui sont dépendants du gouvernement (INSPÉ, Rectorat, Université) ou d’associations à but non lucratif, s’inscrivent dans le cadre de la société civile ayant pour orientation les problèmes sociaux (l’éducation inclusive et la formation des enseignants).

Tiers-lieux éducatifs ? Tiers-lieux apprenants ?

Maintenant comment appeler ces tiers-lieux organisés au sein du milieu éducatif ? Le terme tiers-lieu éducatif est le plus utilisé depuis ses premières utilisations dans les années 1990. Ce terme est souvent associé à l’accompagnement scolaire et a pour caractéristique « la fonction culturelle éducative hors école » (Coq, 1995, p. 8), dans un contexte social parfois hostile où l’école et la famille ne peuvent pas toujours prendre en charge la totalité de l’éducation de l’enfant (Coq, 1995). Les tiers-lieux éducatifs sont ainsi plus au bénéfice de l’enfant, cependant les enseignants et d’autres personnels éducatifs peuvent aussi tirer du profit de ces lieux (Chevallier, 2019; France Tiers-lieux, 2021; Jego & Vergé-Dépré, 2020; Taddei et al., 2017).

Bien que les acteurs du milieu éducatif restent à l’heure actuelle moins présents dans le mouvement des tiers-lieux, les coopérations entre l’école et les tiers-lieux sont en cours de développement et les recommandations pour les développer sont proposées pour accélérer leur mise en place en vue de construire une société apprenante (France Tiers-lieux, 2021; Taddei et al., 2017). Néanmoins, les études empiriques et les publications scientifiques sur les tiers-lieux à but éducatif sont très rares, voire même absentes sur les lieux de formation pour les enseignants et les personnels éducatifs. 

Concernant la dénomination de ces tiers-lieux à but éducatif, il nous semble plus pertinent de parler de tiers-lieux apprenants plutôt que de tiers-lieux éducatifs. Ce choix se justifie par deux raisons principales : 1) pour l’objectif de distinguer nos tiers-lieux des lieux dont les bénéficiaires principaux sont les élèves, comme les lieux d’accompagnement scolaire (Coq, 1995) et les CDI (Centre de documentation et d’information) au sein des établissements scolaires (Chevallier, 2019), et 2) on emploie apprenant dans le sens de l’apprenance, attitude décrite par Philippe Carré comme « un ensemble durable de dispositions favorables à l’acte d’apprendre dans toutes les situations : formelles ou informelles, de façon expérientielle ou didactique, autodirigée ou non, intentionnelle ou fortuite » (Carré, 2005, p. 108).

Par ailleurs, Carré (2020) propose de passer d’une logique top-bottom de formation par autrui à une apprenance bottom-up favorisant l’apprentissage par soi. Les activités proposées aux enseignants et aux personnels éducatifs au sein de nos tiers-lieux entrent justement dans la volonté de mettre en avant cette attitude d’apprenance. Nous avons ainsi choisi de nommer les tiers-lieux de notre recherche tiers-lieux apprenants qui pourront être définis comme : les espaces de rencontres, de collaboration, d’expérimentations et d’apprenance pour les (futurs) enseignants et tous les personnels du milieu éducatif. De plus, dans le cadre du PIA 100% IDT, nous nous intéresserons en particulier à ces tiers-lieux et les activités qui y sont menées dans l’objectif de favoriser une éducation inclusive.

Au sein de ces tiers-lieux apprenants, nous proposons des lieux de rencontres ouverts à tous dans l’objectif de partager des connaissances et expériences professionnelles. Nous accompagnons et soutenons les usagers dans leurs projets et encourageons la co-construction de nouveaux projets émergés lors des rencontres. Les matériels et la salle de simulation mis à la disposition des usagers leur permettent d’expérimenter de nouveaux outils et méthodes d’enseignement, et éventuellement d’en construire d’autres ensemble. Nous proposons aussi des ateliers et des formations spécifiques en fonction des besoins des usagers.